Plus ça change… plus c’est pareil

Nous poursuivons ici le thème que nous avions abordé dans notre dernière lettre trimestrielle, qui évoquait la façon dont le marché « escaladait un mur d’inquiétudes », et la citation de Charlie Munger qui concluait la lettre : « Ce n’est pas censé être facile. Quiconque trouve cela facile est stupide » (citation originale en anglais). Aujourd’hui, nous évoquerons les distractions, les « promotions » agressives, et nous ferons une mise en garde concernant les données comptables et la façon de nous faire croire, à l’aide d’un petit tour de passe-passe, que certains titres et placements illiquides sont des placements très rentables, « trop beaux pour être vrais », entièrement liquides, moins risqués et très diversifiés.

Vous avez sans doute tous lu que les capitaux et crédits privés seront désormais admissibles pour les comptes de retraite 401(k) aux États-Unis, et que les institutions bancaires feront la promotion de capitaux et crédits privés auprès des investisseurs particuliers. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner?

Commençons par tenter de comprendre la motivation : les fonds de capitaux privés sont conçus pour réaliser une opération de liquidité, ou vente, après une certaine période d’investissement, disons sept ans. Or, comme ils sont devenus très populaires au cours des 20 dernières années, trop nombreux sont ceux qui cherchent à se défaire de leurs positions très variées et parfois moins rentables – tous en même temps. Le marché institutionnel est saturé de produits, et l’intérêt des acheteurs est faible. C’est là qu’intervient le chant des sirènes du marché de détail, où l’on peut redéfinir ou vendre divers placements illiquides et moins intéressants à des investisseurs moins avertis, impatients de se lancer sur un marché très lucratif, les actifs ayant en général vu leur valeur monter en flèche au cours des 20 dernières années. Malheureusement, l’opacité des rapports financiers et l’absence d’un bon marché secondaire permettant de créer de la liquidité pour l’acheteur particulier entraîneront la création d’actifs « immobilisés » ou illiquides que le client ne pourra ni monnayer ni vendre, mais pour lesquels des frais de présentation et de « gestion » continueront d’être facturés en fonction d’une « valeur » qui a été, et continuera vraisemblablement d’être, fixée par les vendeurs. En d’autres termes, le vendeur averti transférera le risque et l’illiquidité à l’acheteur particulier peu méfiant. Sortez les mouchoirs…

Comme toujours dans les marchés haussiers de longue durée, certains génies de la finance tentent de présenter des produits illiquides sous un autre jour, qui leur permettrait comme par magie de défier la « loi de la gravité » et de devenir pleinement liquides à des moments prédéterminés. Cela s’est produit à maintes reprises lors des pics spéculatifs des marchés et concerne souvent l’immobilier qui, par nature, ne présente pas les mêmes caractéristiques de liquidité que les titres cotés en bourse.

Récemment, le Globe and Mail a évoqué certaines fiducies de placement et certains fonds immobiliers canadiens qui ont « restreint » les rachats. En d’autres termes, ce qui était vendu comme étant rachetable à intervalles réguliers, par exemple tous les mois ou tous les trimestres, devient rachetable pour des montants très limités, moins fréquemment et uniquement si des fonds sont disponibles. Ainsi, le capital des investisseurs reste bloqué dans les fonds et inaccessible, mais ces derniers doivent tout de même payer des frais de gestion au gestionnaire du fonds en fonction d’une valeur fixée par ce dernier… Les fonds concernés sont nombreux, notamment Centurion Apartments REIT, Trez Capital, Kingsett, plus localement Fiera Capital, et, plus récemment, Nicola Wealth Management, dont le PDG aurait déclaré dans une entrevue : « Très franchement, nous n’avons jamais vu cela auparavant », ce qui est trompeur, comme cela se produit à chaque cycle du marché immobilier. Sortez les mouchoirs (bis)…

Les investisseurs immobiliers ont souvent besoin de liquidités, en particulier durant leur retraite. Ils doivent donc examiner ce type de produits avec une attention particulière et, dans de nombreux cas, les éviter complètement. Cela nous rappelle Hotel California, la célèbre chanson des Eagles : « You can check out any time you like, but you can never leave… »

Et, bien entendu, ce récit édifiant ne serait pas complet sans mettre en garde contre les fraudes financières, pratiquées par certaines entreprises pour améliorer leurs rendements et faire croire aux investisseurs qu’elles sont en bonne santé financière alors que ce n’est évidemment pas le cas. Tout le monde se souvient d’Enron et de ses « dettes hors bilan ». Dans les années 2000, les entreprises masquaient leur mauvaise notation de crédit, leurs garanties insuffisantes, le double nantissement d’actifs, les conditions de marché difficiles, toutes sortes de circonstances qui pourraient tenter une entreprise de trafiquer ses résultats pour saisir une nouvelle occasion. Cela se termine presque toujours mal… Sortez les mouchoirs (ter)…

Le message que nous voulons transmettre ici est que la vigilance est toujours, toujours de mise. Nous sommes toujours vigilants dans la sélection des placements appropriés pour nos clients. Nous nous concentrons sur le secteur d’activité, la gestion, la qualité de l’entreprise, la qualité des rapports financiers, la transparence des déclarations publiques, l’endettement limité et la cohérence des performances de l’entreprise au fil du temps. Nous évitons les entreprises que nous jugeons opaques, incohérentes, trop endettées et illiquides par nature. Nous étudions l’historique du marché et tentons d’éviter les erreurs du passé. Si personne n’est à l’abri d’un ralentissement du marché, les meilleures entreprises dégageront une performance supérieure, quoi qu’il arrive. Alors que les marchés poursuivent leur ascension, nous restons attentifs et continuons à éviter les placements « trop beaux pour être vrais ».

Les points.com contre l’IA

Depuis la sortie de ChatGPT en 2022, tous les placements associés aux mots « intelligence artificielle (IA) » ont grimpé de plus de 100 %. Alors qu’un des fonds négociés en bourse (FNB) a bondi de plus de 160 %, le cours de certaines actions a triplé, voire quadruplé : NVIDIA est en hausse de 1 500 %. Les investisseurs sont attirés par cette technologie de pointe qui promet de révolutionner non seulement la vie quotidienne, mais aussi les modèles économiques, la main-d’œuvre et même les chaînes d’approvisionnement des entreprises américaines. Cela entraîne la grande question du jour – s’agit-il d’une bulle de l’IA?

Il est impossible de savoir quand un cycle de croissance séculaire comme celui de l’IA ou d’Internet atteindra son sommet. Et il est tout aussi difficile de savoir avec une certitude absolue si nous sommes réellement dans une bulle ou non.

Nous pouvons toutefois comparer les valorisations boursières des deux périodes et tenter d’évaluer le degré de risque en fonction de l’optimisme des investisseurs, en partant du principe que les valorisations extrêmes atteintes en 2000 constituent une zone dangereuse.

Les voyants d’avertissement clignotent en ce qui concerne les valorisations :

  • En 2000, le S&P 500 se négociait à 27 fois les bénéfices. Aujourd’hui, il se négocie à 27 fois les bénéfices…
  • En 2000, le ratio cours/chiffre d’affaires était d’environ 2. Aujourd’hui, il est de 3,35…
  • En 2000, le ratio cours/valeur comptable était d’environ 4,80. Aujourd’hui, il est de 5,5…
  • En 2000, le secteur technologique représentait environ 33 % de l’indice S&P 500. Aujourd’hui, il se situe tout juste sous la barre des 35 %…

Avec quelques différences par rapport aux années 2000 :

  • Les valorisations des grandes entreprises technologiques sont aujourd’hui beaucoup plus raisonnables qu’elles ne l’étaient dans les années 2000. À titre d’exemple, Microsoft, qui était à l’époque, comme aujourd’hui, la plus grande entreprise du secteur, se négociait à plus de 80 fois ses bénéfices, alors qu’aujourd’hui, ce multiple est de 38.
  • La rentabilité supérieure et les modèles économiques faibles en actifs des entreprises américaines actuelles justifient des valorisations plus élevées par rapport au chiffre d’affaires et à la valeur comptable.
  • La bulle Internet, ou technologique, s’est produite pendant un cycle de hausse des taux d’intérêt, alors qu’aujourd’hui, il semble que les taux d’intérêt s’orientent à la baisse.

Passer à l’action…

Au lieu de paraphraser l’un des hommes les plus doués du secteur du placement, nous avons décidé de reproduire ici ce qu’Howard Marks a écrit dans sa dernière note concernant la façon dont il quantifie les risques :

L’existence d’une surévaluation ne peut jamais être prouvée, et il n’y a aucune raison de penser que les conditions évoquées ci-dessus sous-entendent qu’il y aura une correction dans un proche avenir. Mais prises dans leur ensemble, elles m’indiquent que le marché boursier est passé d’un niveau de risque « élevé » à un niveau « préoccupant ».

Que devrais-je faire dans ce cas? J’envisage des mesures tactiques allant du dynamisme à la défensive et, lorsque les valorisations sont élevées, j’envisage d’adopter une attitude plus défensive. Dans les films et séries d’action que ma femme Nancy et moi aimons regarder, le Pentagone annonce parfois un état d’alerte, commençant par DEFCON 5 et s’intensifiant à mesure que le danger augmente jusqu’à DEFCON 1, qui indique qu’une attaque nucléaire est en cours ou imminente. Dans le même ordre d’idées, je pense à appliquer progressivement les conditions suivantes de préparation à l’investissement, ou INVESTCON, en présence de valorisations boursières supérieures à la moyenne et d’un comportement optimiste des investisseurs :

6. Arrêter d’acheter.
5. Réduire les positions agressives et augmenter les positions défensives.
4. Vendre le reste des positions agressives.
3. Élaguer également les positions défensives.
2. Éliminer toutes les positions.
1. Établir des positions à découvert.

À mon avis, il est à peu près impossible d’atteindre raisonnablement le degré de certitude nécessaire pour passer à INVESTCON 3, 2 ou 1. Puisque « surévaluation » n’est jamais synonyme de « baisse imminente assurée », il est rarement judicieux de pousser les choses jusqu’à ces extrêmes. Je sais que je ne l’ai jamais fait. Mais je n’ai aucun mal à penser qu’il est temps de passer à INVESTCON 5. Et si vous allégez vos positions en titres qui semblent historiquement chers et que vous vous tournez vers des titres qui semblent plus sûrs, vous n’avez que relativement peu à perdre si le marché continue à grimper pendant un certain temps… en tout cas, pas assez pour vous empêcher de dormir.

Bien entendu, je m’empresse de préciser que les placements dans les titres de créance sont généralement plus sûrs que les actions et conviennent donc parfaitement comme placements défensifs dans le contexte que je décris. Les faibles écarts de rendement signifient que les rendements potentiels actuels du crédit ne sont pas généreux par rapport à ceux des actifs « sans risque » dans le contexte historique, mais les rendements sont importants en termes absolus. Ils sont concurrentiels par rapport aux rendements historiques des actions, et sont soutenus par la promesse contractuelle des émetteurs de payer des intérêts et de rembourser le capital. On ne peut pas en dire autant des actions. » – Howard Marks, 13 août 2025 (citation originale en anglais)

Nous espérons que vous et vos êtres chers avez passé une bonne fête de l’Action de grâce. Comme toujours, nous sommes très reconnaissants pour votre appui continu.

Auteur(e)

  • Alain D. Chung, CFA
    Alain a commencé sa carrière en 1983 et est détenteur du titre de CFA. Il a obtenu son baccalauréat en administration des affaires du HEC Montréal pour lequel il s’est mérité une bourse d’excellence en finance. Alain est co-fondateur de Claret et président du conseil et chef des placements. Avant de se joindre à Claret, Alain a travaillé pendant 16 ans comme courtier en valeurs mobilières et vice-président auprès de CIBC Wood Gundy. Alain parle anglais, français, vietnamien, cantonnais et mandarin.

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