Au sujet des banques, une surprise? Ou inévitable…

À en juger par ce que nous lisons dans les journaux ces jours-ci, on pourrait croire que les marchés boursiers sont aux prises avec une inflation galopante et qu’une crise bancaire sévit de par le monde. Pourtant, depuis le 1er janvier 2023, l’indice S&P 500 a gagné 7,03 %. Si l’on inclut les dividendes, l’augmentation est de 7,48 %. L’indice canadien (S&P/TSX) est également en hausse, d’un modeste 4,56 % – ce qui n’est vraiment pas si mal pour un trimestre…

Les sujets qui dominent l’actualité ces derniers temps sont les dégâts économiques provoqués par la hausse des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation et la crise bancaire qui a suivi avec l’effondrement de la Silvergate Bank (liée aux cryptomonnaies), de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank, toutes des institutions bancaires régionales de taille moyenne.

En fait, il n’y a guère de différence entre la gestion de l’activité bancaire et la gestion d’un compte sur marge, à l’exception du fait que les commis à la marge sont les organismes de réglementation. Pour simplifier, les banquiers reçoivent (c’est-à-dire empruntent) l’argent des déposants – dépôts qui sont inscrits au passif du bilan de la banque. Ils leur versent un faible taux d’intérêt, utilisent l’argent pour consentir (c’est-à-dire investissent dans) des prêts à plus long terme (prêts hypothécaires, prêts à la consommation et prêts commerciaux), achètent (c’est-à-dire investissent dans) des obligations d’État à plus long terme assorties de taux d’intérêt plus élevés, et empochent la différence – qui constitue l’écart de taux d’intérêt. Cet écart génère un rendement, mais en période de hausse des taux d’intérêt, il peut créer un risque, et c’est là que les responsabilités de gestion entrent en jeu.

Après une période de baisse des taux d’intérêt qui a duré plus de 40 ans, la plupart des dirigeants des banques se sont laissés séduire par le chant des sirènes qu’étaient les taux d’intérêt toujours plus bas, à un point tel que l’argent était devenu gratuit. Cupidité, mauvaise gestion et réglementation inefficace se sont conjuguées pour créer la tempête parfaite, où la volonté d’ignorer les risques pour grappiller des rendements rapidement décroissants s’est heurtée à un contexte de hausse des taux d’intérêt qui, en passant, a été grandement anticipée.

Lorsque les taux augmentent, les obligations à long terme perdent rapidement de la valeur. Si les déposants veulent récupérer leur argent, les banques sont obligées de vendre leurs avoirs obligataires et donc d’imputer des pertes à leurs capitaux. À un moment donné, la situation financière des banques devient tellement précaire qu’elles doivent s’efforcer de réunir davantage de capitaux, à défaut de quoi elles font faillite et disparaissent, et les actifs qui restent sont rachetés par des banques plus solides. Tel est le sort des banques dont la gestion est médiocre, y compris les trois mentionnées ci-dessus. Nous ne devrions pas nous apitoyer sur leur sort. Selon leur effort de gestion, les résultats sont bien mérités.

Cupidité : les dirigeants des banques sont récompensés par des options d’achat d’actions et des unités d’actions assujetties à des restrictions en fonction d’une performance exceptionnelle, mais ne sont pas sanctionnés lorsqu’ils prennent des risques démesurés (ce qui s’apparente à surcharger sa marge).

Mauvaise gestion : les mêmes dirigeants font fi des avertissements des organismes de réglementation lorsque les choses commencent à mal tourner, se croisant les doigts et espérant que les marchés finiront par les remettre sur la bonne voie. En effet, l’expérience des 40 dernières années leur a donné raison puisque la Réserve fédérale  est toujours venue à leur rescousse en abaissant les taux.

Une réglementation inefficace, qui n’a pas de mordant : si les organismes de réglementation savaient que la situation commençait à se dégrader dans certaines banques il y a 12 mois, ils avaient les mains liées, même lorsque les banques ne tenaient pas compte de leurs mises en garde. Ils ne pouvaient pas annoncer publiquement ces problèmes bancaires, risquer ainsi de créer une ruée sur les banques et d’en être blâmés. Ce n’est pas comme s’ils savent comment arrêter une ruée sur les banques une fois qu’elle a commencé. Nous avons vécu une expérience récente au Canada lorsque la CVMO (Commission des valeurs mobilières de l’Ontario) a rendu publiques quelques petites irrégularités au sein d’un prêteur hypothécaire canadien. Ces irrégularités ont effectivement provoqué une ruée sur leurs dépôts qui a failli entraîner une faillite. Dieu merci, Warren Buffett est venu à la rescousse en fournissant du capital.

Si demain, les organismes de réglementation soulevaient des irrégularités dans une banque, les déposants fuiraient. Même s’il s’agissait de la Banque Royale, la situation pourrait provoquer sa faillite si la Banque du Canada n’intervenait pas pour assurer sa survie.

Nous avons incontestablement besoin d’une réglementation plus stricte pour toutes les institutions financières, qu’il s’agisse de banques ou d’assureurs. Mais surtout, nous avons désespérément besoin que les dirigeants des banques assument leur part de responsabilité. Non seulement ces dirigeants devraient avoir une grande partie de leur richesse en jeu (c’est-à-dire avoir une grande partie de leurs avoirs investis directement dans des actions de la banque qui les emploie), mais un élément de culpabilité criminelle devrait être prévu lorsque les dirigeants bancaires refusent de se conformer à aux réglementations.

Nous devons également être réalistes et savoir qu’il ne s’agit pas d’une solution facile : malheureusement, la cupidité et l’orgueil démesuré ne sont pas près de disparaître.





Dans notre lettre commentant le deuxième trimestre de 2022, nous écrivions que « le processus de creux d’un marché baissier suppose d’ordinaire une sorte d’événement lié au crédit… » et dans notre lettre traitant du troisième trimestre de 2022, nous avions décidé de nous en prendre à Crédit Suisse : « Il est presque impensable qu’un géant suisse de la finance parvienne à se détruire par des décisions et des acquisitions aussi spéculatives que stupides, prises par une direction incompétente tout au long des années 1990 et 2000. Les actionnaires ont payé un lourd tribut, ayant vu le cours de l’action, qui était de 65 francs suisses en 2007, plonger vers 4 francs suisses aujourd’hui… »

Eh bien, nous n’avons pas pu prévoir l’effondrement des trois autres banques américaines de taille moyenne. Nous ne l’avons pas vu venir. Non seulement il est difficile de lever le voile sur l’avenir et de le prédire, mais ce n’est généralement pas rentable du point de vue financier… sauf peut-être pour les prévisionnistes qui touchent des honoraires pour leurs prévisions. Pire encore, cela gonfle l’ego de gens qui clament avoir raison alors qu’ils ont simplement eu de la chance. Je pense qu’il est beaucoup plus facile de s’en tenir au simple gros bon sens, comme le disait Charlie Munger : « Dites-moi seulement à quel endroit je vais mourir, je m’assurerai de ne jamais y mettre les pieds. »

Nous avons également évoqué le sort réservé aux entreprises « zombies ». Nous avons commencé à assister à leur effritement par manque de nouveaux financements. Le fabricant de motoneiges électriques Taiga vient d’annoncer que la société pourrait bien disparaître si elle ne parvient pas à réunir de nouveaux fonds. Virgin Orbit, une société de services de lancement de satellites issue de Virgin Galactic et soutenue par le milliardaire Sir Richard Branson, vient de licencier 85 % de ses employés, n’est pas en mesure de mobiliser des capitaux supplémentaires et va probablement cesser ses activités.

D’autres entreprises vont tomber et fermer leurs portes. Certaines seront rachetées par des entreprises plus solides. Quelques-unes survivront sous un autre nom et après une restructuration majeure. Les actionnaires actuels perdront de l’argent et de nouveaux actionnaires trouveront un point d’entrée à un prix beaucoup plus bas.

Nous devons nous rappeler que, sur la voie du progrès économique, la récession est un bon remède contre les excès financiers. Les faibles doivent mourir pour laisser place au renouveau. C’est l’essence même de la destruction créatrice.

Rappelons-nous que la démocratie et le capitalisme suivent une sorte de processus désordonné, faisant souvent deux pas en avant et un pas en arrière, reculant pour mieux avancer.




Maintenant que quelques événements liés au crédit se sont produits et que de plus en plus de « zombies » meurent, sont absorbés ou sont restructurés, nous pensons que le marché pourrait s’approcher de son creux et que les valorisations deviennent plus intéressantes.

Nous devons toutefois être conscients du fait que le contexte a évolué et qu’il est aujourd’hui différent de l’environnement auquel nous sommes habitués :

  • Les taux d’intérêt sont passés de plus de 20 % au début des années 1980 à 0 % pendant la pandémie de 2022, soit une baisse de 2 000 points de base (1 point de base est égal à 0,01%). Au moment de rédiger ces lignes, les taux jouent de 2 % à 4 %. Chose certaine, à partir de ce niveau, ils ne peuvent plus baisser de 2 000 points de base…
  • Alors que le marché du travail reste tendu, les salaires continuent d’augmenter. Si l’on ajoute à cela les problèmes géopolitiques qui ralentissent la mondialisation, l’inflation n’est pas près de repasser sous la barre des 2 % d’ici peu.
  • Si on peut tirer une leçon du cours d’économie 101, c’est bien que le taux d’intérêt réel – ce que l’on entend généralement par le taux d’intérêt sur les bons du Trésor à trois mois moins le taux d’inflation – doit être positif pour que les épargnants épargnent. Sans épargne, il n’y aura pas d’investissement et pas de croissance économique à long terme. Par conséquent, si l’inflation se maintient autour de 2 %, le taux d’intérêt nominal devrait être de l’ordre de 2 % à 4 %, comme c’est le cas actuellement…

Dans un contexte où les taux d’intérêt ne sont plus le principal catalyseur, comme cela a été le cas au cours des 13 dernières années ou plus – et, en fait, au cours de la plupart des 40 dernières années – les stratégies de placement qui ont donné les meilleurs résultats durant de ces périodes ne seront peut-être pas celles qui seront les plus performantes dans les années à venir.

Pour notre part, nous continuerons à investir comme nous l’avons toujours fait, en privilégiant les entreprises de qualité, qui sont bien gérées, qui dégagent des flux de trésorerie positifs et qui offrent de bonnes perspectives de croissance.

Nous vous remercions tous pour la confiance que vous continuez d’accorder à Claret.

Alain Chung, CFA, PCA et chef des investissements, au nom de l’équipe Claret.

Auteur(e)

  • Alain D. Chung, CFA
    Alain a commencé sa carrière en 1983 et est détenteur du titre de CFA. Il a obtenu son baccalauréat en administration des affaires du HEC Montréal pour lequel il s’est mérité une bourse d’excellence en finance. Alain est co-fondateur de Claret et président du conseil et chef des placements. Avant de se joindre à Claret, Alain a travaillé pendant 16 ans comme courtier en valeurs mobilières et vice-président auprès de CIBC Wood Gundy. Alain parle anglais, français, vietnamien, cantonnais et mandarin.

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