Après le deuxième meilleur premier semestre de ce siècle, le troisième trimestre de 2023 n’a pas été très favorable aux haussiers de ce marché. En effet, le S&P 500 a cédé 3,27 % au cours des trois mois terminés le 30 septembre 2023. Les observateurs du marché ont imputé ce recul à la hausse des taux d’intérêt découlant de la politique de la Réserve fédérale visant à juguler l’inflation. Le marché canadien s’en est sorti un peu mieux, puisqu’il n’a perdu que 2,7 % au cours du trimestre.
Récession ou pas, telle est la question…
Avec tant d’indicateurs qui se contredisent les uns les autres, les investisseurs sont pris dans ce moulin à prédictions qui rend respectables les astrologues, les diseurs de bonne aventure et les météorologues.
Passons donc en revue certains de ces indicateurs. Et pour plus de précision, nous ajouterons notre grain de sel à ce que vous lisez dans les journaux.
Courbe de rendement inversée – mais qu’est-ce qu’une courbe de rendement déjà?
Une courbe de rendement est essentiellement un graphique linéaire qui indique le niveau des taux d’intérêt pour différentes échéances. La plupart du temps, les taux à court terme sont inférieurs aux taux à long terme, ce qui fait que la courbe est ascendante (forme normale). La courbe peut également être plate (c’est-à-dire que les taux sont approximativement les mêmes quelle que soit l’échéance), ou inclinée vers le bas (définie comme inversée), lorsque les taux d’intérêt à court terme sont plus élevés que les taux à long terme.
Certains économistes estiment que les courbes de rendement ont un pouvoir prédictif sur l’économie, en particulier les courbes de rendement inversées, qui ont été l’un des indicateurs avancés les plus fiables de la récession économique au cours de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Les partisans de cette thèse soutiennent qu’une inversion tend à précéder une récession de plusieurs mois. D’autres, en revanche, sont sceptiques, affirmant notamment que la courbe de rendement inversée n’est « pas nécessairement » un indicateur fiable pour prédire une récession. N’oublions pas que les économistes ont prédit « neuf des cinq dernières » récessions…
Néanmoins, il faut se rappeler que, sur les dix dernières récessions, huit ont été précédées d’une inversion de la courbe des taux.
En ce moment, la courbe des taux est inversée depuis juillet 2022. Si l’on remonte à 1978, les données nous montrent qu’il faut environ 15 mois en moyenne (en réalité, cela peut aller de 6 à 18 mois) pour que l’économie entre en récession après l’inversion de la courbe des taux. De juillet 2022 à ce jour, nous comptons 15 mois…
Inflation – avec les milliers de milliards de dollars imprimés et distribués durant la COVID-19, y a-t-il quelqu’un qui s’étonne de la hausse de l’inflation?
Si nous reconnaissons que faire tourner la planche à billets était la chose à faire pendant la pandémie, l’inflation qui en découle est la conséquence directe d’un excès d’argent (beaucoup de gens ont touché des chèques mensuels ou obtenu des prêts gratuits) alors que les biens se faisaient rares (le secteur des biens et des services a été mis à l’arrêt en raison du manque de personnel imputable à la COVID-19). Les banques centrales n’ont donc eu d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt pour juguler l’inflation (c’est-à-dire rendre l’argent plus cher afin de forcer les gens à dépenser moins). Il faut parfois beaucoup plus de hausses de taux d’intérêt que ne le prévoient les économistes pour que l’on assiste à un ralentissement des dépenses. Et nous attendons toujours le ralentissement… espérons qu’il ne se transformera pas en une forte contraction.
Prix du pétrole : à 100 $US le baril, le prix est-il trop élevé?
Depuis le creux pandémique de 10 $US le baril sondé en mars 2020 (le creux intrajournalier était en fait inférieur à 2,00 $US le baril), le prix du pétrole a atteint un sommet de 123 $US, est redescendu à 70 $US et oscille autour de 85 $US au moment où nous écrivons ces lignes. Selon l’Agence internationale de l’énergie, « la croissance de la demande mondiale de pétrole devrait ralentir presque jusqu’à s’arrêter au cours des années à venir, les prix élevés et les problèmes de sécurité d’approvisionnement mis en évidence par la crise énergétique mondiale accélérant le passage à des technologies énergétiques plus propres ».
Pour replacer le prix du pétrole dans son contexte, rappelons qu’il a atteint son apogée en 2008, à 145 $US le baril. À l’époque, la consommation mondiale de pétrole était de 3,96 milliards de tonnes métriques. En 2022, la consommation mondiale s’élevait à 4,39 milliards de tonnes métriques. Il semble en effet que la croissance de la consommation de pétrole ait quelque peu ralenti au cours des 25 dernières années : elle a augmenté de près de 18 % entre 1996 et 2008, mais seulement de 11 % entre 2008 et 2022.
L’alliance OPEP+ a peut-être raison de réduire régulièrement sa production afin de ne pas noyer le marché dans une trop grande quantité de pétrole. Qui plus est, l’Arabie saoudite a besoin d’un prix à 100 $US le baril pour équilibrer son budget et la Russie a besoin d’un pareil prix pour financer la guerre en Ukraine…
La guerre en Ukraine est-elle un prélude à de graves problèmes pour l’économie mondiale?
Non seulement nous déplorons l’invasion de l’Ukraine par la Russie, quelles que soient les raisons invoquées par Poutine, mais nous saluons également la résistance déterminée du peuple ukrainien face à l’agression russe. Cette guerre a révélé la folie de la vision de Poutine d’une grandeur impériale renouvelée. Ayant trouvé leur indépendance vis-à-vis de Moscou au cours des années qui ont suivi 1991, les Ukrainiens n’ont aucune envie de revenir à leur statut colonial antérieur. Malgré la puissance militaire supérieure de la Russie, le peuple ukrainien a défendu sa souveraineté et sa liberté, s’attirant le soutien et le respect du monde entier.
Mais comment les guerres affectent-elles l’économie et les marchés boursiers? Seul l’avenir nous le dira, mais les données historiques ont montré que les guerres passées n’ont pas fait baisser les actions américaines à long terme :
Les marchés en font souvent fi
La recherche indique que les actions ont largement fait fi des conflits géopolitiques passés. Aussi grave que soit cette intensification des tensions, les expériences précédentes ont montré qu’il est peu probable qu’elle ait un impact significatif sur les fondamentaux économiques des États-Unis ou sur les bénéfices des entreprises.
« Entre le début de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, et sa conclusion, à la fin de 1945, le Dow Jones a progressé de 50 % au total, soit plus de 7 % par an. Ainsi, pendant deux des pires guerres de l’histoire moderne, le marché boursier américain a connu une hausse combinée de 115 % », a noté Ben Carlson, directeur de la gestion d’actifs institutionnels chez Ritholtz Wealth Management, dans un article sur les résultats contre-intuitifs des marchés. « La relation entre les crises géopolitiques et les résultats du marché n’est pas aussi simple qu’il y paraît. »
Quand les marchés peuvent souffrir
L’histoire nous apprend que les périodes d’incertitude comme celle que nous connaissons actuellement sont généralement celles où les actions souffrent le plus. En 2015, des chercheurs du Swiss Finance Institute ont étudié les conflits militaires américains après la Seconde Guerre mondiale et ont constaté que, lorsqu’il y avait une phase d’avant-guerre, une augmentation de la probabilité de guerre tendait à faire baisser les cours des actions, mais que le déclenchement définitif de la guerre les faisait augmenter. En revanche, lorsqu’une guerre était déclarée par surprise, son déclenchement faisait baisser les cours des actions. Les auteurs ont appelé ce phénomène « l’énigme de la guerre » et ont déclaré qu’il n’y avait pas d’explication évidente au fait que les actions augmentent de façon significative lorsqu’une guerre éclate après un prélude.
Comme vous pouvez le constater, nous n’avons pas vraiment d’idées plus éclairantes sur la macroéconomie et la géopolitique que n’importe qui d’autre dans le domaine des prévisions. Nous sommes à peu près certains que notre moyenne au bâton ne sera pas beaucoup plus mauvaise que, en un mot, moyenne. Ainsi, au lieu de perdre notre temps à prédire l’imprévisible, nous pensons qu’il vaut mieux consacrer notre temps à l’analyse de différentes entreprises et à investir dans celles qui profitent de vents favorables et dont les marges bénéficiaires sont raisonnables.
Quelques observations sur les marchés en général :
- Nous avons mentionné dans notre dernière lettre que les « Sept Magnifiques » – Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, NVIDIA et Tesla – ont dominé la performance de l’indice S&P 500. Nous vous avons peut-être donné l’impression d’être négatifs parce que nous ne trouvons pas ces « Sept Magnifiques » attrayants. Soyons clairs : nous ne sommes pas pessimistes au point de croire qu’il n’existe que sept occasions de croissance sur l’ensemble du marché mondial des actions. En fait, nous sommes optimistes et pensons que les possibilités sont nombreuses. Mais elles ne se trouvent pas parmi les sept coqueluches du moment.
- Dans notre dernière lettre, nous avons également abordé en détail les liens entre les prix de l’immobilier, les taux d’intérêt et les remboursements hypothécaires. Comme la plupart des choses en finance, rien n’est jamais simple et la situation prend toujours plus de temps à se dévoiler : nous sommes en 2023 et, en supposant que la plupart des hypothèques au Canada sont d’une durée de cinq ans, les propriétaires qui ont acheté des maisons en 2018 renouvellent leur hypothèque aujourd’hui et les taux sont assez semblables à ceux de 2018. Cependant, les taux étaient à leur plus bas en 2020 – 2021, les années de la pandémie, alors que le taux fixe à cinq ans atteignait 1,44 % et le taux variable à cinq ans pouvait être aussi bas que 0,88 %. Ceux qui ont acheté une maison à cette époque ne renouvelleront leur hypothèque qu’en 2025 – 2026… ce qui pourrait changer considérablement la donne en ce qui concerne leur pouvoir d’achat discrétionnaire.
- On dit souvent qu’il y a des mensonges, de sacrés mensonges et des statistiques. On peut également dire qu’il y a des mensonges, de sacrés mensonges et des valorisations. Prenons l’exemple de l’introduction en bourse d’une société du nom de Vinfast. Selon Bloomberg News, il s’agit d’une entreprise vietnamienne qui exploite une plateforme intelligente pour véhicules électriques. La société propose une plateforme de mobilité à grande échelle axée principalement sur la conception et la fabrication de véhicules électriques haut de gamme, de scooters électriques et d’autobus électriques. Vinfast Auto sert des clients dans le monde entier. En langage clair, il s’agit d’une entreprise de fabrication de voitures électriques au Viêt Nam. Selon ses propres données financières, la société a livré 9 600 véhicules au deuxième trimestre 2023; elle a inscrit des revenus de 333 M$ US et une perte d’exploitation de plus de 370 M$ US. Pourtant, rien de tout cela n’a été mentionné aux investisseurs crédules qui ont sauté sur l’occasion et acheté les actions à des prix allant de 20,00 $ à 93,00 $. Le 5 octobre 2023, l’action a clôturé à 8,50 $US. À son apogée, cette société avait une capitalisation boursière de plus de 200 G$. Cependant, sur les 2,3 milliards d’actions en circulation, seules 32 millions d’actions sont librement négociées. La demande extrême créée par le battage et la promotion des banques d’investissement, combinée à une offre limitée, a fait des miracles pour le cours de l’action, et les investisseurs crédules devenus spéculateurs se sont fait avoir. Même Tesla semble bon marché comparé à Vinfast…
- La plupart des investisseurs connaissent les marchés d’actions, communément appelés marchés boursiers. Mais rares sont ceux qui savent que le marché obligataire est en fait trois fois plus important que le marché boursier. Sans le marché obligataire, la plupart des projets d’infrastructure à long terme n’auraient jamais vu le jour. Nous sommes tombés récemment sur un article très intéressant de Robin Wigglesworth dans le Financial Times de Londres sur la longue histoire du marché obligataire. Il met en perspective la façon dont le capitalisme s’est financé depuis le Moyen Âge grâce à l’évolution du marché obligataire. Pour ceux qui sont intéressés par le sujet, faites-le-nous savoir et nous vous ferons parvenir une copie de l’article.
Nous espérons que vous avez tous passé une merveilleuse Action de grâce, et nous avons tous beaucoup de raisons d’être reconnaissants. L’une des choses dont nous sommes le plus reconnaissants est la confiance et le soutien que vous nous accordez en continu.
Alain Chung, CFA, président du conseil et chef des investissements, pour l’équipe Claret